Trois professionnels de médias locaux – Simon Barthélémy, rédacteur en chef de Rue89 Bordeaux, Tidjan Perron, rédacteur en chef de Mediabask et Jean Berthelot de la Glétais, responsable éditorial et co-créateur de Podcastine ont partagé leur expérience sur la création et la pérennisation de médias alternatifs. Tous implantés dans le Sud Ouest, ils sont revenus sur les défis qu’ils ont surmontés pour cette conférence qui a eu lieu le 28 janvier dans les locaux de l’EPJT, organisée par Hugo Laulan , Mourjane Raoux-Barkoudah et Emma Sikli.
Mais la viabilité économique reste un frein important. Simon Barthélémy revient sur les débuts difficiles de Rue89 Bordeaux, notamment le manque de financement : « Nous avions très peu d’argent au départ. Nous avions un emprunt de 25 000 euros, surtout pour payer des pigistes. Mon associé et moi-même avions choisi de ne pas nous rémunérer au début. » Malgré ces obstacles, le média a su trouver un équilibre grâce à un modèle économique basé en partie sur l’abonnement, mais pas uniquement.
La question du financement reste au cœur des discussions. Les médias locaux alternatifs doivent diversifier leurs sources de revenus pour garantir leur indépendance. Simon Barthélémy explique : « Aujourd’hui, nous avons différentes sources de revenus : abonnements, annonceurs… Nous ne sommes pas dépendants d’une seule source. »
Mediabask a fait le choix d’un modèle coopératif (SCIC) en 2023, après plusieurs années sous statut associatif. Le rédacteur en chef, Tidjan Perron, explique que ce changement était nécessaire pour assurer une stabilité économique et une meilleure gouvernance : « Jusque-là, nous étions sous format

Pour Jean Berthelot de la Glétais, les médias locaux permettent une pluralité des voix et offrent une vision alternative à celle des grands groupes de presse. Photo : EPJT
associatif. Mais cela ne convenait plus à l’envergure qu’avait pris le média. »
L’un des grands atouts de la SCIC est d’impliquer directement les salariés et les lecteurs dans la gestion du média. « Le principe est : une personne égale une voix. Ce qui correspond à nos valeurs », précise Tidjan. Toutefois, il souligne qu’il reste un défi majeur : « Comment rendre cette SCIC plus participative ? Comment trouver des moments pour faire participer les lecteurs et les investisseurs ? »
Dernier défi, les médias locaux alternatifs doivent coexister avec des acteurs plus puissants comme Sud Ouest dans le territoire Néo-Aquitain. Mais ils ne se positionnent pas toujours comme des concurrents directs. Simon Barthélémy précise : « Avec Sud Ouest, nous ne jouons pas du tout dans la même cour. Nous avons une vraie liberté de ton, de traitement. »
On ne joue pas dans la même cour
De son côté, Tidjan Perron reconnaît que Mediabask a dû se différencier en misant sur des sujets plus approfondis, dans des territoires plus reculés : « Sud Ouest, c’est notre concurrent numéro 1. Ils ont longtemps eu les sujets avant nous avec, en plus, la confiance des lecteurs. Mais nous nous sommes rapidement tournés vers le temps long, sur des angles décalés. »
Jean Berthelot de la Glétais insiste sur le fait que ces médias locaux permettent une pluralité des voix et offrent une vision alternative à celle des grands groupes de presse : « Dans beaucoup de médias mainstream, on transmet une idéologie. Il n’y a pas de voie alternative. Alors qu’en locale, on peut se le permettre. »
Être un média indépendant signifie parfois subir des pressions extérieures, qu’elles viennent d’acteurs politiques ou qu’elles soient économiques. Jean Berthelot de la Glétais témoigne de son expérience avec Podcastine : « Nous avons eu quelques pressions de la part de certains groupes ou d’élus. Moi, j’ai déjà eu un cercueil dessiné, déposé dans ma boîte aux lettres. »

Tidjan Perron (en vision) a insisté sur la nécessité de transformer les lecteurs en acteurs du média, notamment grâce au modèle coopérati. Photo EPJT
Ces témoignages illustrent les risques auxquels sont confrontés ces médias lorsqu’ils abordent des sujets sensibles. Malgré ces difficultés, ils jouent un rôle essentiel en donnant la parole à des voix peu entendues et en réalisant des enquêtes en profondeur, dans des territoires parfois peu représentés.
Autre enjeu fondamental : l’engagement du public. Simon Barthélémy met en avant le rôle des abonnés dans la survie de Rue89 Bordeaux : « En 2020, nous avons failli nous arrêter complètement. Nous avons expliqué à nos lecteurs que nous avions besoin d’eux pour faire vivre le média. Pari qui a fonctionné.
Tidjan Perron insiste sur la nécessité de transformer les lecteurs en acteurs du média, notamment grâce au modèle coopératif : « L’idée est de faire sortir les lecteurs du rôle de consommateur simple, pour les impliquer dans la vie du média. »
Un journalisme plus participatif
Jean Berthelot de la Glétais partage cette vision d’un journalisme plus participatif, mais reconnaît la difficulté à mettre en place de véritables espaces de dialogue : « Notre ambition était de créer un forum dans lequel les personnes pourraient proposer des idées et les débattre. Certaines personnes étaient partantes, mais ça n’a pas pu se faire. »
Cette conférence a mis en lumière les défis majeurs auxquels sont confrontés les médias locaux alternatifs :
• Trouver un modèle économique stable (abonnements, coopératives, aides publiques)
- Se démarquer face aux médias traditionnels, en misant sur des enquêtes approfondies et un journalisme engagé.
- Résister aux pressions et menaces des acteurs locaux qui peuvent peser sur l’indépendance journalistique.
- Impliquer les lecteurs pour qu’ils deviennent des acteurs du média.
Malgré ces difficultés, ces médias jouent un rôle crucial dans le paysage médiatique actuel car ils offrent une information plus locale, indépendante et approfondie. Comme le souligne Simon Barthélémy : « On sait que certains articles ont contribué à faire évoluer le débat à Bordeaux. »
L’enjeu pour l’avenir est de renforcer ces initiatives, pour qu’elles puissent perdurer et continuer à offrir une alternative à la presse traditionnelle.